Bon à savoir
Train de nuit : embarquement pour le rêve
Embarquer le soir à Bruxelles pour se réveiller le lendemain matin à Nice ou à Venise, voilà un plan qu’il est sympa ! Le train de nuit a vécu son premier âge d’or au début du XXe siècle, durant les années folles. Avec comme sommet le mythique Orient Express dont l’initiative revint au Liégeois Georges Nagelmackers, soutenu par le roi Léopold II. Seconde apogée de ce mode de transport : les années 50 à 70, quand le train auto-couchette emmenait les vacanciers vers les stations de ski ou, selon la saison, à la Côte d’Azur et au-delà. Arriver sur la Riviera, descendre son petit cabriolet du wagon porte-voitures à l’arrière du convoi et sillonner la Moyenne Corniche cheveux aux vents, c’est charmant et bien pratique.
Une renaissance « basse émission »
Tombé en désuétude il y a une vingtaine d’années, voilà que le train de nuit connaît aujourd’hui un nouvel essor, notamment dans le chef de ceux qui tiennent compte de l’impact environnemental de leurs déplacements, qu’ils soient professionnels ou touristiques. De ce retour en grâce, certains se délectent, comme Georges Gilkinet, ministre belge de la Mobilité. « On renoue avec la magie du rail. A bord du Rome-Sicile, on se réveille dans un paysage extraordinaire et on termine le voyage, toujours dans le train, mais sur un bateau ! On rêve tous de se laisser bercer par les mouvements des wagons et leurs sonorités rythmées. » Certes, l’automobile nous permet de nous arrêter en chemin. Pas le train. Et, certes, l’avion est plus rapide (mais… difficile de l’arrêter en vol ! - ndlr). Pour autant, le rail possède des atouts qui n’appartiennent qu’à lui. « On peut bouger dans le train, on voit défiler des panoramas impossibles à apercevoir autrement… Le train, c’est beaucoup plus agréable » souligne le ministre Ecolo.
Le plus propre
À côté du rêve, il y a la réalité environnementale. Apparaissant comme arriéré face au TGV qui raccourcit les distances, le train de nuit a été progressivement éclipsé par l’automobile et l’autoroute d’une part, l’aviation et les compagnies low cost de l’autre. Oui, mais c’était sans compter avec le CO2 désormais tant redouté. « Le rail reste en 2021 le moyen de déplacement le plus propre, rappelle Adina Vălean, Commissaire européenne. Il ne représente que 0,4 % des émissions issues du transport en Europe. »
Redémarrage à l’autrichienne
À partir de décembre 2016, les ÖBB (Österreichische Bundesbahnen) ont réintroduit le concept du train de nuit, peu après son abandon par la Deutsche Bahn. Récupérant une partie du matériel roulant allemand, les Chemins de fer fédéraux autrichiens ont rouvert certains créneaux. Sur une vingtaine de lignes, un nouveau réseau européen, dénommé Nightjet, s’est progressivement développé de Hambourg à Rome en passant par les inévitables Venise et Florence, selon l’axe nord-sud, et de Vienne à Bruxelles sur l’axe est-ouest. Car, depuis janvier 2020, la capitale belgo-européenne est à nouveau visitée par des trains de nuit. En transitant par Liège, ceux-ci relient Bruxelles à Cologne, Francfort et Nuremberg, endroit où le convoi se scinde pour rallier Vienne d’un côté, Munich et Innsbruck de l’autre. Testée sur deux rotations par semaine, la liaison, après avoir été interrompue par la crise sanitaire, a repris fin mai, cette fois en trois rotations hebdomadaires. Aux ÖBB, la société ferroviaire belge fournit du personnel de bord, des conducteurs. « Et on s’occupe de l’entretien des matériels pendant la journée » ajoute Georges Gilkinet, précisant que, sur le territoire national, le train de nuit est tracté par une locomotive belge. En effet, les systèmes de traction ne sont pas compatibles au niveau européen. Le temps n’est plus aux grandes locomotives ‘polycourants’ trônant fièrement en tête du TEE Paris-Bruxelles…
Encore du boulot
C’est même bien plus compliqué que cela. La mise au diapason des vingt-cinq réseaux ferroviaires européens n’est pas une mince affaire. « L’interopérabilité entre réseaux nationaux, l’efficacité opérationnelle, la fiabilité et la compétitivité ne sont pas toujours au rendez-vous, déplore la Commissaire Vălean. Nous travaillons à harmoniser le cadre réglementaire. Notre ambition ultime est l'achèvement de l'espace ferroviaire unique européen dans lequel un même train ou une même entreprise peut opérer efficacement par-delà les frontières intra-européennes. Le rail sera l’un des bénéficiaires majeurs de notre mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE). Nous avons alloué à ce dispositif un budget de 33,7 milliards d’euros pour la période 2021 à 2027, affirme Adina Vălean. Sous le programme précédent, 70% du budget MIE a été dédié au rail. »
Et maintenant les start-up !
Les problèmes logistiques ne semblent pas freiner l’enthousiasme d’opérateurs prêts à miser sur le train de nuit. Signe qui ne trompe pas, ils sont plusieurs en lice chez nous pour de nouvelles liaisons ferroviaires nocturnes. A côté de Nightjet, les néerlandais d’European Sleeper projettent d’ouvrir une ligne Bruxelles-Amsterdam-Berlin-Prague, tandis que Moonlight Express envisage un Bruxelles-Liège-Berlin. « La start-up ferroviaire European Sleeper vient de réussir le pari de récolter en 15 minutes plus de 500.000 euros en financement communautaire ! » observe Adina Vălean. Selon la Commissaire européenne aux Transports « cela montre bien l’intérêt - la soif même - pour ce type de projet. La demande citoyenne est là et nous devons l’encourager si nous voulons développer une mobilité plus durable et atteindre nos objectifs de lutte contre le changement climatique. »
Allez France !
Du côté de l’Hexagone, ça bouge aussi, puisque la SNCF vient de relancer le Paris-Nice en train de nuit depuis la gare d’Austerlitz avec arrêts à Marseille-Blancarde, Toulon, Cannes, Antibes… Sans prolongation possible vers le nord ? « On parle d’un Lille-Nice qu’on aimerait tirer jusqu’à Bruxelles, note Georges Gilkinet. C’est le genre d’opportunité qu’on va saisir. » Quant à l’auto-train-couchette ?… La SNCB fut parmi les premiers opérateurs européens à créer le service, le 30 juin 1956, sur la ligne Ostende-Bruxelles-Munich, puis vers Milan. Mais, jugée obsolète, l’offre est passée à la trappe le 14 février 2003. Au vu du grand chambardement qui se dessine, peut-on espérer une reprise ? « Je veux que la SNCB donne des alternatives aux personnes, de plus en plus nombreuses, qui ne souhaitent pas ou plus prendre l’avion pour aller en vacances en France, en Italie ou en Espagne » insiste le ministre belge de la Mobilité. Sa réponse en sous-entendu (sic) laisse augurer de belles perspectives !
Booster les opérateurs belges
En attendant que les violons réglementaires et infrastructurels s’accordent, les nouveaux pionniers du rail nocturne doivent se frayer un chemin, c’est-à-dire obtenir leurs sillons ferroviaires auprès des gestionnaires de réseau. Pas simple non plus. Car la nuit, c’est aussi le moment privilégié des convois de marchandises. Et puis « en Belgique, les infrastructures-réseau étant en souffrance, c’est la nuit et le week-end que sont réalisés les travaux » explique Georges Gilkinet. Le ministre belge de la Mobilité a, par ailleurs, lancé le plan Boost 2021, attribuant 75 millions d’euros supplémentaires à Infrabel et 25 millions à la SNCB. « La numérisation de la gestion du réseau devrait notamment améliorer l’attribution des sillons. »
Abordable et surtout attractif
Par-delà toutes ces considérations, retenons que, pour exister et être compétitive, l’offre ferroviaire de nuit doit absolument allier confort et service, et ainsi se différencier nettement des vols low cost. « Je pense que la conscience citoyenne est vraiment du côté du rail. J’estime aussi que nos différentes initiatives pour stimuler le rail seront bénéfiques au train de nuit, conclut Madame Vălean. Mais, bien sûr, cela dépendra grandement de la capacité des acteurs du secteur à être attractifs et abordables. » Deux conditions essentielles à la réussite du projet. A bon entendeur…