Réflexion
Branson, Bezos, Musk : l’étoffe des héros ?
Drôle d’époque que la nôtre où des compagnies à capitaux privés « offrent » à qui en a les moyens le privilège d’aller tout là-haut dans l’espace.
Comme un mauvais remake
Virgin Galactic, Blue Origin et SpaceX sont les 3 projets un peu fous et extrêmement mégalos de Richard Branson, Jeff Bezos et Elon Musk. Ce ne sont d’ailleurs plus des projets, puisque Branson himself a effectué un vol le 11 juillet dernier et Bezoz, 9 jours plus tard, le 20 juillet, 52 ans jour pour jour après que Neil Armstrong et Buzz Aldrin se soient posés sur la lune. Evidemment, avec nos milliardaires, on est bien loin de cet exploit et surtout bien loin de cet esprit de conquête.
D’abord un business
Branson annonce clairement la couleur : le billet coûte 250.000 dollars et il semble que 600 clients aient déjà banqué dur et méchant pour vivre d’ici quelques mois, au pire quelques années, des instants de griserie absolue en apesanteur avec une vue imprenable sur notre planète bleue. Pour Jeff Bezoz, l’ambition serait moins mercantile : il voit son engagement comme le début d’un processus exploratoire, pour créer d’éventuelles colonies de peuplement dans notre système solaire. Mais, en réalité, derrière ce discours idéaliste, le patron d’Amazon pense d’abord à la diffusion d’Internet haut débit par voie satellitaire. C’est sa motivation première.
Le troisième homme
Et Elon Musk, quelles sont ses intentions ? Comme toujours, il fait dans la simplicité : son concept, c’est rejoindre avec SpaceX la Station Spatiale Internationale qui gravite à 400 km de la Terre : l’ISS dans laquelle le Canadien aurait planifié un projet d’hôtel. C’est en tout cas ce qu’il raconte, mais on sait que l’entrepreneur aux mille facettes n’est pas à un fantasme près. En tout cas, son lanceur fonctionne : du 15 au 18 septembre 2021, sous la conduite - c’est un bien grand mot - d’astronautes non professionnels, Crew Dragon a additionné les rotations autour du globe avant d’amerrir sans encombre dans l’océan atlantique, non loin de Cap Canaveral. Pour Richard Branson, c’est plus compliqué : Virgin Galactic a rencontré de graves problèmes de trajectoire qui risquent de retarder le programme.
Gadget et très toxique
Tout ceci peut paraître assez inoffensif. Or, la notion de tourisme spatiale suscite les critiques de la communauté scientifique. Celles du citoyen aussi. En prenant du recul, franchement, ça peut se comprendre tant le coût financier et environnemental est exorbitant. Le modèle de fusée choisi par Jeff Bezoz pollue relativement peu grâce à un mélange d’hydrogène et d’oxygène. Par contre, le vaisseau mis au point par Branson est particulièrement néfaste à l’atmosphère et à la stratosphère avec des émission massives de CO2 et des rejets de suie absolument énormes. Puis, comme l’a déclaré récemment le Prince William : n’y a-t-il pas mieux à faire alors que notre monde se porte si mal ? Sans compter qu’une sorte d’arrogance se dégage de ce grand Barnum. Citons à ce propos le sociologue français Bruno Latour. Il estime qu’au début des années 60, John Glenn, Alan Shepard et Youri Gagarine portaient les espoirs de toute une civilisation, la nôtre. Or, aujourd’hui, le tourisme spatial est nettement moins glorieux, parce que scandaleusement dispendieux, dévoreur de dollars et d’énergie comme jamais. Et surtout, ce n’est pas très utile. Bruno Latour conclut par ces mots : « Les sourires de Branson et Bezos dans l’espace sont cyniques. C’est l’image de puissants totalement déconnectés de l’humanité normale. Des super-super-riches qui nous disent : Allez-vous faire foutre »… C’est assez bien vu.